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Aux origines des bastides et villages médiévaux du Périgord

Au cœur de la Dordogne, les bastides et villages médiévaux s’imposent comme les témoins indélébiles de l’histoire tourmentée du Périgord. Entre guerres franco-anglaises, envolée économique et organisation urbaine innovante, ces cités racontent l’intimité du territoire, ses résistances et ses splendeurs architecturales. Plus d’une trentaine de bastides jalonnent aujourd’hui encore le département, dont certaines sont demeurées emblématiques, tandis que des villages médiévaux comme Beynac, Sarlat ou La Roque-Gageac projettent entre pierre blonde et ruelles pavées le reflet saisissant d’une époque charnière (source : Comité Départemental du Tourisme Dordogne Périgord).

La naissance des bastides en Périgord : une réponse à la guerre et au besoin de contrôle

Dès le XIIIe siècle, alors que la rivalité entre la couronne de France et la couronne d’Angleterre s’exacerbe sur ces terres frontières, l’apparition des bastides révolutionne la physionomie urbaine du Périgord. Définition : Une bastide n’est pas seulement un village fortifié : c’est avant tout une ville neuve, fondée de toutes pièces selon un plan rationnel, la plupart du temps en damier, autour d’une place centrale dédiée au commerce et à la vie communale.

  • But stratégique : sécuriser la population face aux conflits, affirmer l’autorité du suzerain (roi de France, d’Angleterre, ou grands seigneurs locaux), et stimuler l’économie via des franchises rurales (droits de marché, fiscalités allégées…).
  • Chronologie : 45 bastides créées entre 1222 (création de Libourne) et la fin du XIVe siècle en Aquitaine, dont 22 en Dordogne seule (source : Michel Bénard, Les Bastides du Périgord).
  • Initiateurs : Louis IX (Saint-Louis), Alphonse de Poitiers, Édouard Ier d’Angleterre…

Monpazier : archétype de la bastide parfaite

Fondée en 1284 par Édouard Ier d’Angleterre, Monpazier est souvent citée comme la bastide la mieux préservée de Dordogne et même de France – un "outil pédagogique" vivant pour comprendre l’urbanisme médiéval.

  • Paysage : Plan régulier avec rues en damier, place centrale bordée d’arcades, ancienne halle du XVIe siècle.
  • Détail rare : Les 24 emplacements de boutiques encore lisibles sous les arcades témoignent de la vocation commerciale de la bastide (source : Monuments Historiques).
  • Anecdote : Monpazier conserve la trace de nombreux affrontements, notamment lors de la Révolte des Croquants en 1637.

Chiffres : moins de 1 000 habitants aujourd’hui, mais une activité touristique qui double la population en haute saison. La cité attire plus de 100 000 visiteurs chaque année, portée par son classement "Plus Beaux Villages de France".

Domme, la bastide royale perchée sur ses falaises

Établie en 1281 par Philippe III le Hardi, Domme surplombe la vallée de la Dordogne du haut de son éperon rocheux. La cité cumule une double singularité :

  • Plan bastide et fortifications : Organisation en damier autour d’une place puis ceinturée de remparts lâchant, au Sud, une vue vertigineuse sur la Dordogne.
  • Mystère des Templiers : En 1307, de nombreux Templiers y furent emprisonnés. Des graffiti gravés par leurs soins sont encore visibles dans la porte des Tours : croix pattées, figures énigmatiques… (source : Le Monde).
  • Stratégie : Contrôler le fleuve, passage obligé pour les marchandises et les armées, au cœur des affrontements de la Guerre de Cent Ans.

Domme propose un récit condensé des tensions médiévales, entre ambitions royales, enjeux religieux et défense contre l’Anglais.

Beynac-et-Cazenac : forteresse de pierre aux confins du pouvoir

Beynac n’est pas une bastide au sens strict, mais figure parmi les villages médiévaux incontournables de la Dordogne. Dressé sur une falaise de 150 mètres, son château (XIIe-XIVe siècles) a vu s’affronter maintes fois français et anglais.

  • Poste stratégique : Lieu de surveillance de la navigation sur la Dordogne, Beynac fut réputé imprenable.
  • Architecture : Donjon carré, logis seigneurial, salles d’armes, tours crénelées…
  • Anecdote : Richard Cœur de Lion s’y opposa à Simon de Montfort, et la forteresse ne fut prise qu’à une reprise par les Anglais – par la ruse, en 1214 (source : Université Bordeaux-Montaigne).
  • Décor de cinéma : Le village a servi de toile de fond à de nombreux films historiques, notamment "Les Visiteurs", "La Fille de d’Artagnan", ou "Jeanne d’Arc" de Luc Besson.

Avec un peu plus de 500 habitants, ce village concentre 5 monuments historiques et accueille plus de 350 000 visiteurs par an (source : Office de Tourisme Sarlat Périgord Noir).

Sarlat-la-Canéda : la cité labyrinthique, joyau du patrimoine périgordin

Sarlat incarne la densité et l'urbanité médiévale par excellence.

  • Origines monastiques : L’abbaye bénédictine, fondée vers le IXe siècle, est à l’origine d’un bourg enserré de murailles, perpétuellement disputé durant la Guerre de Cent Ans.
  • Patrimoine monumental : Près de 66 édifices classés ou inscrits aux Monuments historiques sur seulement 11 hectares (source : DRAC Nouvelle-Aquitaine).
  • Plan urbain : Un entrelacs de ruelles tortueuses, hôtels particuliers du XVe au XVIIe siècle, places, passages sous arcades. La ville a su éviter les destructions révolutionnaires et industrielles, grâce à un isolement relatif jusqu'au XXe siècle.
  • Chiffre clé : Sarlat accueille près d’1,5 million de visiteurs chaque année, un record pour une commune de moins de 10 000 habitants.

La Roque-Gageac : splendeur accrochée à la falaise

Moins connue que Sarlat, La Roque-Gageac émerveille par son site spectaculaire, au pied d’une falaise surplombant directement la Dordogne.

  • Village troglodytique : Habitats creusés dans la roche, ruelles escarpées, échappées sur le fleuve.
  • Abri naturel : Resté invaincu des Anglais, la topographie a servi à protéger habitants et seigneurs des conflits environnants.
  • Rôle commercial : Jusqu’au XIXe siècle, la Roque fut un port actif pour le commerce du vin, du sel, des céréales et du bois transportés par gabarre.

Classé parmi les Plus Beaux Villages de France, il attire chaque année autour de 400 000 visiteurs (source : Association Les Plus Beaux Villages de France).

Molières, Lalinde, Villefranche-du-Périgord : autres bastides à découvrir

  • Molières : Bastide fondée en 1284, elle ne connut jamais le développement escompté mais possède une place carrée typique et les vestiges d’un château inachevé. C’est la seule bastide anglaise à avoir gardé son statut communal jusqu’à la Révolution.
  • Lalinde : Première bastide périgourdine (1267) fondée par Henri III d’Angleterre. C’est la seule à être traversée par la Dordogne.
  • Villefranche-du-Périgord : Fondée en 1261 sur des gisements de minerai de fer, elle devint un important foyer de résistance durant la Guerre de Cent Ans.

Ce que révèlent ces villages de l’histoire et de l’identité du Périgord

1. Les cicatrices d’un territoire disputé

Le réseau des bastides et villages médiévaux trahit la persistance d’une tension, palpable dès le XIIIe siècle, entre la France et l’Angleterre : changements d’allégeance, fortifications doublées, urbanisme révisé à la hâte au gré des conflits, redéfinissent l’organisation même du territoire, héritage que l’on retrouve dans la variété architecturale, du roman au gothique flamboyant.

2. Un modèle social et économique novateur

  • L’octroi de franchises (marchés, foires, allègements d’impôt…) attire paysans et artisans, favorisant un essor économique sans précédent.
  • Les bastides marquent la naissance d’une société ouverte, avec réglementation des espaces publics, laïcisation partielle du pouvoir et prémices de démocratie locale – témoignage rare au Moyen Âge.

3. Un patrimoine vivant

  • Ces villages sont le théâtre de fêtes médiévales, marchés de producteurs et manifestations patrimoniales qui perpétuent leur héritage (ex : Fête de la Noix à Martel, marchés truffiers de Sarlat…)
  • Elles attirent chaque année plus de 2 millions de visiteurs venus des quatre coins du monde, preuve que ces pierres continuent d’être habitées, célébrées et racontées.

Vers une (re)découverte sensible du Périgord médiéval

Découvrir Monpazier, Domme, Sarlat ou Beynac, c’est donc accomplir un voyage dans le temps mais aussi comprendre la façon dont l’histoire, l’économie et le génie architectural ont façonné le paysage et les mémoires périgourdines. Loin d’être figés, ces villages médiévaux s’ancrent dans leur temps : restaurations exemplaires (Sarlat, Monpazier), projets d’interprétation, ou encore retour à des usages anciens tels que les marchés de la truffe ou du vin.

Approcher ces lieux, c’est aussi saisir la façon dont le dialogue entre patrimoine et terroir se maintient vivant, à la croisée des chemins de l’histoire, de la gastronomie, du vignoble et des grandes pierres patinées.

L’aventure du Périgord médiéval ne se limite pas à l’admiration d’un patrimoine minéral, elle se prolonge dans l’exploration du lien profond entre l’homme, la terre, et la mémoire des âges.

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