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Le Périgord, une terre de châteaux : contexte et héritage

Avec près de 1 001 châteaux recensés (source : Comité Départemental du Tourisme Dordogne-Périgord), la Dordogne détient le record national de concentration de châteaux. Cet héritage remonte aux rivalités médiévales, quand l’Aquitaine faisait l’enjeu d’une lutte séculaire entre Anglais et Français, puis à l’essor d’une noblesse soucieuse d’affirmer sa puissance. Chaque vallée, chaque promontoire offre alors son lot de murailles, tours ou logis remaniés, témoins d’autant d’époques et d’usages.

  • Les châteaux de défense : nés de la guerre de Cent Ans, ce sont des forteresses conçues pour résister aux sièges (Castelnaud, Beynac, Commarque).
  • Les châteaux résidentiels : à la Renaissance, la pierre s’adoucit et s’orne, marquant la montée des intérêts aristocratiques pour le confort et la représentation (Hautefort, Milandes).
  • Les manoirs et demeures de plaisance : au fil du XVII siècle, les châteaux deviennent centres économiques, entourés de terres et de jardins (Losse, Puymartin).

Mais au-delà de la pierre, le château incarne aussi un récit vivant de la société périgourdine, de ses ambitions, de ses peurs et de son génie d’adaptation.

Castelnaud : la forteresse de la guerre de Cent Ans

Juché sur un éperon vertigineux au-dessus de la Dordogne, le château de Castelnaud surveille l’un des passages stratégiques de la région. Construit au XII siècle par la famille de Caumont, il devient vite un des bastions anglais les plus redoutés lors de la guerre de Cent Ans (1337-1453). En face, la forteresse de Beynac, tenait quant à elle la bannière française, symbolisant la frontière mouvante entre deux mondes.

  • Castelnaud fut repris six fois par les différentes armées au fil du conflit.
  • Ce château abrite aujourd’hui l’une des plus remarquables collections d’armes et machines de siège d’Europe : trébuchets, couillards, arbalètes, armes blanches, le tout présenté en situation dans des salles scénographiées (source : Château de Castelnaud).

La visite, immersive, offre un voyage inédit dans l’ingénierie militaire médiévale et démontre combien la guerre a façonné non seulement la pierre, mais toute l’organisation du Périgord féodal.

Beynac : la citadelle imprenable et la saga des barons

À quelques encablures, le château de Beynac dresse ses remparts verticaux sur une falaise abrupte. Propriété des barons de Beynac, indéboulonnables défenseurs de la couronne française, il n’est jamais tombé autrement que par la ruse ou mariage d’intérêt – un fait rare à une époque où les sièges étaient monnaie courante.

  • Beynac fut le lieu de négociations et de trêves décisives, notamment lors du passage de Simon de Montfort, puis de Richard Cœur de Lion.
  • Sous ses voûtes se lit la grandeur de la noblesse périgourdine, mais aussi la terreur qui régnait du haut de ses archères et machicoulis. 

Sa restauration, entamée au XIX siècle par Lucien Grosso, compte parmi les sauvetages patrimoniaux majeurs du Sud-Ouest.

Hautefort : la transition vers la Renaissance et la vie de cour

Changement de décor avec le château de Hautefort. Surplombant la vallée de la Beuze, Hautefort incarne le passage du Moyen-Âge belliqueux à la sophistication de la Renaissance. Bâti à l’origine comme forteresse, le château est transformé au XVII siècle par le marquis de Hautefort, de la famille de Born.

  • La silhouette évoque plus un palais italien qu’une place forte austère : façades rythmées, dôme élégant, balustres ouvragés.
  • Les appartements intérieurs, meublés, restituent la vie quotidienne d’une haute société toute en raffinement (tapisseries d’Aubusson, boiseries, salons de musique).
  • Les jardins à la française, dessinés par le célèbre jardinier Le Nôtre, sont classés “Jardin remarquable” (source : Château de Hautefort).

Le sauvetage du château après l’incendie de 1968, par la baronne Simone Evrard et ses amis, est une page marquante du patrimoine périgordin, mobilisant artisans et villageois autour de cette “renaissance dans la Renaissance”.

Les Milandes : château et destin de Joséphine Baker

À l’écart des circuits classiques, le château des Milandes surprend par son profil élégant et son histoire attachante. Édifié en 1489 par la famille de Caumont, le château est surtout connu pour avoir accueilli la célèbre artiste et résistante Joséphine Baker au XX siècle.

  • Joséphine Baker y fit un refuge pour sa famille métissée, “la tribu arc-en-ciel”, et un lieu de solidarité durant la Seconde Guerre mondiale.
  • Le château expose aujourd’hui ses souvenirs personnels, costumes, et une évocation poignante de son engagement contre le racisme et pour les enfants adoptés de toutes origines (source : Les Milandes).
  • Classé Monument historique depuis 1986, c’est l’un des rares châteaux à conjuguer l’art de vivre Renaissance et l’héritage du XX siècle.

Commarque : la forteresse oubliée au cœur de la vallée de la Beune

Inscrite dans un paysage quasi sauvage que surmontent pins et blocs calcaires, la silhouette ébréchée du château de Commarque intrigue et invite à la découverte. Édifié dès le XII siècle pour contrôler une voie de passage du Périgord Noir, le site regroupe une rare association de tours, donjons et habitats troglodytiques.

  • Le site fut progressivement abandonné à partir du XVII siècle, au profit de châteaux plus modernes et confortables.
  • Depuis les années 1970, d’importantes restaurations ont permis de relever murs et salles, tout en menant des fouilles archéologiques majeures ; on y a notamment mis au jour une grotte ornée préhistorique.
  • La forteresse reflète bien la “seigneurie partagée”, système féodal singulier où plusieurs familles cohabitaient, chacune occupant une tour ou un logis.

Commarque évoque ainsi toute la complexité d’un Moyen-Âge polycentrique, multiforme, bien loin de l’image d’un pouvoir unique et absolu.

Puymartin : entre légende, femmes et fantômes

Dressant son profil élancé dans la forêt, Puymartin est l’un des châteaux les plus mystérieux de Dordogne. Remanié à la Renaissance, il se distingue surtout par sa légende tenace : celle de la Dame Blanche. Selon la tradition locale, Thérèse de Saint-Clar, enfermée dans une tour pendant plus de 15 ans pour adultère, hanterait encore les lieux (source : France Bleu Pays de Dordogne).

  • L’intérieur conserve un exceptionnel décor néo-gothique du XIX siècle, maquettes architecturales, et mobilier d’époque.
  • Les salons abritent la plus grande fresque mythologique du département, le “Cabinet de Psyché”, décoré par l’artiste italien Galland en 1860.
  • Puymartin reste dans la même famille depuis le XVe siècle, gage d’une mémoire continue et précieuse.

Les Eyzies, Biron, Losse : d’autres perles aux destins contrastés

Au-delà des grandes figures, de nombreux autres châteaux méritent leur place dans le panthéon périgourdin :

  • Château de Biron : l’un des plus vastes ensembles castraux du département, dominé par la famille Gontaut-Biron durant plus de 800 ans. Son architecture évolutive offre un panorama unique du Moyen-Âge au XVIII siècle.
  • Château de Losse : fortifié sur la Vézère, il combine raffinement Renaissance et défense militaire ; ses jardins géométriques sont remarquables.
  • Le château des Eyzies : aujourd’hui musée national de la Préhistoire, il rappelle que la vallée fut habitée des millénaires avant la féodalité, abritant au passage l’Homme de Cro-Magnon. (source : Musée national de la Préhistoire).

Une architecture qui dit la société et le territoire

Entre les épaisses murailles carrées des baronnies et la finesse des ornementations Renaissance, l’évolution des châteaux du Périgord résume mille ans d’histoire. Chaque pierre, chaque fenêtre, chaque escalier à vis raconte l’ascension d’une famille, les stratégies de défense face aux envahisseurs, les transitions vers l’art de vivre et l’ouverture à l’ailleurs.

  • L’usage de la pierre calcaire jaune local donne cette teinte “miel” caractéristique au patrimoine bâti.
  • L’implantation sur des promontoires ou la proximité directe des rivières (Dordogne, Vézère) illustre l’importance du contrôle des voies de circulation et des ressources naturelles.
  • Plusieurs châteaux sont aujourd’hui associés à des domaines viticoles : Montbazillac, par exemple, allie architecture médiévale et production d’un célèbre vin blanc liquoreux (source : Château de Monbazillac).

Les restaurations contemporaines, souvent bénévoles ou associatives, inscrivent les châteaux dans une dynamique moderne : accueil culturel, festival historique et tourisme œnologique.

L’avenir des châteaux de Dordogne : entre valorisation et transmission

Face aux défis du temps, nombre de châteaux de Dordogne multiplient les initiatives pour assurer leur transmission. Expositions, spectacles nocturnes, chasses au trésor pour enfants, reconstitutions historiques, mais aussi collaborations avec des vignerons, font vivre les pierres tout en assurant la mémoire de ce territoire d’exception (voir les programmes culturel annuels sur Perigord.com).

Leur diversité – forteresses imprenables, palais raffinés, demeures légendaires ou musées vivants – forge une identité singulière du Périgord. Qu’ils parlent de guerre ou de paix, de techniques ou de passions humaines, les châteaux de Dordogne invitent à pénétrer dans l’histoire par la grande porte… et à regarder autrement la terre qui les voit s’élever depuis plus de mille ans.

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