Nous Écrire

[email protected]

Monpazier, joyau médiéval inscrit dans la pierre du Sud-Ouest

Située aux confins du Périgord Pourpre et de l’Agenais, entre Bergerac, Sarlat et Cahors, Monpazier est souvent citée comme la bastide la mieux conservée du Sud-Ouest. Ce statut, largement reconnu par les historiens et valorisé par son classement parmi les plus beaux villages de France, prend racine dans un état de conservation exceptionnel de son tissu urbain, rareté dans l’histoire turbulente du Moyen Âge périgourdin (Site officiel de Monpazier).

Qu’est-ce qu’une bastide ? Définition et contexte

Avant de saisir l’unicité de Monpazier, il faut comprendre ce qu’est une bastide. Bastide est un terme qui évoque souvent une ville nouvelle médiévale édifiée dans le Sud-Ouest, généralement entre le XIII et le XIV siècle. Ces fondations sont le fruit d’une volonté politique et économique : stabiliser des territoires disputés, asseoir la puissance seigneuriale, et organiser l’espace rural autour de pôles marchands (Larousse).

  • Environ 350 bastides ont été créées entre 1220 et 1350 dans le Sud-Ouest.
  • Caractéristiques principales : un plan en damier (orthogonal), une place centrale, des arcades (ou cornières) abritant les marchés, des rues à angles droits.
  • Bastide vient du mot occitan "bastida" signifiant "ville bâtie".

La fondation de Monpazier (1284), sous l’impulsion du roi d’Angleterre Édouard Ier (aussi duc d’Aquitaine), répond à cet idéal d’organisation rationnelle, préfigurant l’urbanisme moderne.

Urbanisme médiéval : le plan orthogonal unique de Monpazier

Ce qui frappe immédiatement en arrivant à Monpazier, c’est la rigueur de son tracé. La bastide a conservé son plan d’origine :

  • Un quadrillage parfait de 400 m par 220 m (Base Mérimée).
  • Des rues parallèles et perpendiculaires formant un damier aligné avec une précision rare.
  • La place centrale rectangulaire, cœur économique et social, entourée de galeries à arcades (cornières).
  • Des maisons à boutiques, ouvertes par des arches médiévales intactes pour la plupart.

Cette structure est visible aujourd’hui depuis les airs et offre une lecture immédiate de la ville médiévale, contrairement à d’autres bastides modifiées ou partiellement détruites.

Monpazier à travers les siècles : pourquoi le village a-t-il traversé le temps sans heurts ?

Le caractère intact de Monpazier n’est pas un simple héritage du hasard. Plusieurs facteurs expliquent la remarquable préservation :

  • Protection historique : Monpazier est classée site patrimonial remarquable depuis 1991, ce qui limite les transformations et renforce la conservation des bâtiments d’époque.
  • Éloignement relatif des conflits modernes : Même si Monpazier fut le théâtre de rivalités franco-anglaises et des luttes de la Guerre de Cent Ans, ces épisodes n'ont pas causé de destructions majeures comme dans d'autres bastides (par exemple, Villefranche-de-Rouergue ou Labastide-d’Armagnac).
  • Forte identité rurale : Absence d’industrialisation massive ou de mutation liée à des besoins modernes, ce qui a contribué à figer l’architecture ancienne.
  • Effet de seuil démographique : Monpazier n'a jamais connu de surpopulation soudaine qui aurait imposé des extensions anarchiques ou des destructions pour moderniser le bâti.
  • Attractivité touristique raisonnée : Depuis les années 1970, Monpazier fait l’objet d’un tourisme patrimonial, à la recherche d’authenticité, qui contribue à l’entretien du site plus qu’à sa transformation (Sud Ouest).

Preuve de cette préservation, plus de 32 monuments inscrits ou classés jalonnent la bastide, une densité exceptionnelle pour un village de seulement 503 habitants en 2021 (Insee).

Anatomie d’une bastide parfaite : Monpazier en 6 points-clés

  1. Place des cornières – centre-ville avec ses 23 arcades d’origine, véritables passages couverts.
  2. Halle médiévale – datée du début du XVI siècle, avec sa charpente de chêne et sa pierre à mesurer le grain toujours visible.
  3. Ruelles orthogonales – perspectives droites, alignement des maisons pour un effet visuel unique en Dordogne.
  4. Porte fortifiée – vestiges de la Porte du Paradis, des pans de murs d’enceinte encore debout.
  5. Église Saint-Dominique – mélange de styles roman tardif et gothique, fondée peu après la bastide (fin XIII – début XIV siècle).
  6. Pilotis et maisons à colombages – nombreux exemples dans l’enceinte, souvent restaurés à l’identique.

L’un des aspects les plus frappants reste l’absence d’adjonctions modernes ou de percées réalisées au XIX siècle, à l’inverse d’autres bastides. Monpazier s’est contentée de restaurations ciblées, gardant une exceptionnelle lisibilité de son plan initial.

Récits et anecdotes : la bastide dans l’Histoire et les mémoires

Monpazier a traversé l’Histoire sans se départir de ses fonctions d’origine : marché agricole, échanges régionaux, administration locale. Quelques anecdotes méritent d’être soulignées :

  • La halle servait autrefois d’abri au bailli royal lors des marchés, garantissant la sécurité et la justice.
  • La pierre à grain dite "bushel" – toujours visible dans la halle – fixait les mesures officielles, témoignage d’une réglementation stricte typique des bastides royales.
  • Monpazier fut l’une des toutes premières bastides anglaises sur le sol du royaume de France, inspirant plusieurs autres créations en Aquitaine (Périgord.com).
  • L’édifice du “Prieuré” fut au XVII siècle un foyer de résistance à la Réforme protestante, indiquant un attachement local aux traditions catholiques et à la centralité communautaire.

Restaurer sans trahir : le modèle de gestion patrimoniale de Monpazier

Le maintien du caractère originel de Monpazier doit beaucoup à une politique patrimoniale volontariste :

  • Toutes les restaurations du bâti s’accompagnent de prescriptions de matériaux et de techniques compatibles avec les époques médiévales ou modernes (tuiles canal, enduits à la chaux, pierres locales).
  • Les rénovations conservent les volumes et ouvertures d’origine, respectant les huisseries, volets et couleurs historiques.
  • Une charte d’urbanisme stricte interdit les enseignes lumineuses, matériaux modernes apparents ou constructions en hauteur.
  • Les espaces publics, les ruelles, les bacs à fleurs ou bancs sont pensés avec des matériaux naturels et discrets.
  • Des campagnes de restauration sont menées en concertation avec les Monuments historiques et l’architecte des Bâtiments de France.

Monpazier sert ainsi de modèle en matière de gestion patrimoniale pour nombre d’autres villages. Son expérience a d’ailleurs été étudiée dans des colloques de l’École nationale supérieure d’architecture de Bordeaux.

Patrimoine vivant : la vie contemporaine dans la bastide

Malgré son aspect intemporel, Monpazier n’est pas un musée figé :

  • Le marché du jeudi matin perpétue une tradition multiséculaire, animant la place et les cornières.
  • De nombreux artisans d’art, artistes et boutiques indépendantes s’installent sous les arcades, soufflant un vent de créativité.
  • Plus de 60 événements annuels : expositions, concerts, marchés nocturnes, fêtes médiévales.
  • Une école élémentaire sur la place du Foirail rappelle que le village accueille de jeunes familles et reste dynamique.
  • Monpazier figure sur l’itinéraire du GR 36, accueillant randonneurs et cyclotouristes chaque saison.

L’articulation entre préservation du patrimoine, vie locale et accueil touristique mesuré fait tout le charme de la bastide.

Quelles limites et quels défis pour une bastide classée ?

La conservation a un revers : le coût élevé des restaurations et la difficulté pour certains habitants d’adapter leur habitat au confort moderne. L’accès au logement peut devenir difficile pour les familles locales face à l’attrait grandissant des résidences secondaires. Un débat anime la commune autour de l’équilibre entre authenticité patrimoniale et adaptation aux besoins contemporains.

  • Près de 30% des logements sont désormais des résidences secondaires (Insee).
  • Des aides à la rénovation sont proposées par la Fondation du Patrimoine et le Conseil départemental, mais restent parfois insuffisantes.

Le défi pour l’avenir : continuer à préserver l’intégrité de Monpazier sans tomber dans l’aseptisation ou la “muséification”, et maintenir un tissu social vivant dans une bastide à la notoriété croissante.

Monpazier : modèle de bastide et référence internationale

Avec près de 120 000 visiteurs chaque année (Source OT Bastides Dordogne-Périgord), Monpazier n’a rien perdu de son attrait. Elle s’impose comme un laboratoire vivant du patrimoine historique, symbole d’un équilibre rare entre fidélité à l’héritage, dynamisme local et innovation dans la valorisation des “petites cités de caractère” françaises. Un cas d’école qui attire chercheurs, architectes, urbanistes et tout simplement les amoureux des pierres et des histoires.

En savoir plus à ce sujet :

© le-raz.com.