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Brantôme : la rencontre rare de la pierre et de l’eau

À peine franchi le pont de Brantôme, le visiteur ressent cette étrange harmonie entre nature et architecture qui fait la réputation de ce bourg du Périgord vert. Située au nord-ouest de la Dordogne, la petite ville s’enroule tel un méandre autour de l’abbaye bénédictine, sur une île naturelle enlacée par la Dronne. Ce site unique explique la naissance du surnom « Venise du Périgord », mais ce raccourci ne saurait à lui seul raconter la richesse de Brantôme.

Loin de n’être qu’une métaphore touristique, le nom fait écho à une histoire millénaire où l’eau et la pierre dialoguent, transformant un monastère en cœur vivant d’un territoire rural. Mais comment ce site s’est-il forgé une identité si singulière, au point d’incarner l’art de vivre du Périgord ?

Les origines : quand la Dronne façonne le destin d’une abbaye

Fondée selon la tradition en 769, sous l’impulsion de Charlemagne – qui y aurait déposé des reliques de Saint Sicaire – l’abbaye de Brantôme s’inscrit au sein d’un paysage hydrologique rare. L’insularité du site n’était pas qu’un atout défensif : elle participait directement à la vie quotidienne et liturgique.

  • L’eau favorise la méditation : Le murmure de la rivière, omniprésent, accompagne la prière.
  • L’île comme rempart : Les bras de la Dronne forment une protection naturelle, un argument essentiel lors des troubles du Moyen Âge.
  • Le vivier et les jardins : Dès le XII siècle, les moines exploitent des viviers alimentés par la rivière, ainsi que des jardins en terrasse (sources : Inventaire du patrimoine culturel, Mérimée).

Des générations de moines, bâtisseurs pragmatiques et cultivateurs ingénieux, ont ainsi modelé le paysage, domptant le fleuve. À la manière des Vénitiens, ils n’ont cessé de jouer avec les eaux de la Dronne : canalisation, moulins, digues, systèmes d’irrigation.

Le génie architectural : l’abbaye et son environnement hydrographique

La richesse architecturale de Brantôme ne se limite pas à l’imposante église abbatiale romane. Tout autour, une série d’ouvrages hydrauliques témoigne d’un dialogue séculaire entre pierre et eau.

  • La grotte primitive : Probable premier ermitage creusé dans la falaise, un ensemble de cellules troglodytes surplombe toujours la rivière. Ces cavités demeurent un rare témoignage du monachisme des origines (source : perigord.com).
  • Le moulin et ses roues à aubes : Encore visible, le moulin moderne prolonge une tradition médiévale de la transformation artisanale, favorisée par la régularité du débit.
  • Le pont coudé : D’une arche unique, en maçonnerie, il offre l’accès principal à l’abbaye. Sa forme oblique permettait jadis de mieux résister aux crues de la Dronne.

La composition urbaine, caractérisée par ces passerelles, canaux, quais arborés et îlots baignés de lumière, a peu à peu donné l’apparence d’une Venise miniature.

Du monastère médiéval à « la Venise du Périgord » : la naissance d’une identité touristique

L’expression « Venise du Périgord » émerge au début du XX siècle dans la littérature et la presse locale (source : archives municipales de Brantôme). Auparavant, la ville tirait avant tout sa notoriété de l’importance de son abbaye et de ses marchés. C’est la convergence de plusieurs facteurs qui scelle cette nouvelle aura :

  1. L’arrivée du chemin de fer (1877) : Elle multiplie les visiteurs, qui s’émerveillent de la luxuriance des rives.
  2. L’engouement pour les stations vertes et le tourisme fluvial : Dès les années 1920, les premières croisières sur la Dronne apparaissent.
  3. Les expositions universelles et la ‘découverte’ du Périgord : Face aux Alpes ou à la Côte d’Azur, l’argument aquatique devient un élément distinctif pour les campagnes publicitaires d’avant-guerre.

Selon les statistiques de l’INSEE, la fréquentation estivale à Brantôme a triplé entre 1962 et 1982, passant de 15 000 à plus de 50 000 nuitées annuelles (insee.fr). Aujourd’hui, le surnom « Venise du Périgord » figure sur la quasi-totalité des brochures, panneaux touristiques et sites web consacrés à la destination.

Un patrimoine vivant : traditions, fêtes et art de vivre au bord de l’eau

La notoriété de la ville s’est construite autour d’évènements qui entretiennent ce lien avec la rivière :

  • La Fête de la Dronne : Chaque été, une descente en gabare attire des centaines de curieux, renouant avec l’ancienne batellerie périgourdine.
  • Le marché traditionnel : Tenue chaque semaine, la halle médiévale s’anime au bord de l’eau, perpétuant le rôle économique du bourg depuis le Moyen Âge.
  • Les concours de peinture “sur le motif” : Inspirés par la lumière des quais, amateurs et artistes capturent l’ambiance de « la Venise du Périgord ».

On compte aujourd’hui plus de 30 associations culturelles et sportives investies dans l’entretien ou l’animation du patrimoine et des berges (source : Office de tourisme Dronne & Belle).

La gestion de l’eau : atout ou vulnérabilité ?

Si la Dronne façonne la beauté du site, elle impose aussi des contraintes. Brantôme n’a pas été épargnée par les grandes crues historiques :

  • Crue majeure en 1783, puis 1944 et 1999 : le niveau de l’eau a grimpé de plus de 3 mètres, inondant places, jardins et caves (source : archives départementales Dordogne).
  • Chaque été, le niveau baisse parfois trop, menaçant la flore aquatique et la pêche locale.
  • Plus récemment, la gestion durable du cours d’eau est devenue un enjeu avec la lutte contre les espèces invasives (ragondins, renouée du Japon).

La municipalité a engagé un plan de préservation écologique incluant la restauration de certains bras secondaires de la Dronne pour favoriser la biodiversité, illustration moderne du savoir-faire hérité des moines aménageurs.

Focus : L’abbaye aujourd'hui, héritage et modernité mêlés au fil de l’eau

Aujourd’hui, l’abbaye de Brantôme n’est plus un simple monument historique (classée Monument Historique en 1840 ; source Mérimée). Elle accueille chaque année plus de 60 000 visiteurs venus admirer :

  • Le clocher roman du XI siècle, l’un des plus anciens de France (datation dendrochronologique de la charpente).
  • Les grottes et la fontaine Saint Sicaire, cœur mystique de l’enceinte monastique.
  • Le musée Fernand Desmoulin, où l’histoire religieuse dialogue avec l’art symbolique et le spiritisme du XIX siècle.

Le bourg s’attache à diversifier ses usages : accueil de groupes scolaires, concerts, conférences, réseau de randonnées reliant les rives de la Dronne aux forêts voisines. L’abbaye est également engagée dans le réseau des « Sites Clunisiens », affichant sa dimension européenne et son ouverture sur le monde.

Perspectives : l’avenir d’une Venise rurale

La dénomination « Venise du Périgord » pose la question du fragile équilibre entre préservation patrimoniale et développement touristique. Comment transmettre la singularité de Brantôme sans la dénaturer ? Plusieurs pistes s'esquissent :

  • Mise en valeur du petit patrimoine hydraulique : calades, lavoirs, gués et petits ponts pourraient intégrer de nouveaux parcours-découvertes.
  • Promotion des savoir-faire liés à l’eau : anciens scieurs, jardiniers, pêcheurs partagent leur connaissance lors d’ateliers ouverts.
  • Sensibilisation aux enjeux écologiques : conférences, audits citoyens et sentiers pédagogiques invitent à devenir ambassadeurs de la Dronne.

L’avenir de Brantôme se dessine ainsi à la confluence de l’histoire religieuse, du paysage fluvial et de la créativité locale. Plus qu’un simple décor, l’eau demeure le cœur palpitant d’une cité où, depuis douze siècles, la pierre et la rivière ne cessent de se réinventer.

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