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Un château, deux histoires : entre ruines et renaissance

À Saint-Michel-de-Montaigne, au sud-ouest de Bergerac, trône une demeure entourée de vignes dont le nom seul évoque la littérature française : le château de Montaigne. Pourtant, derrière cette image emblématique, une réalité s’impose : rien, ou presque, ne reste du château d’origine que connut Michel de Montaigne au XVI siècle. Incendié en 1885, le logis principal que l’auteur des « Essais » habitait a disparu à jamais, laissant la célèbre « tour de la librairie » comme unique rescapée.

L’actuel château, reconstruit vers 1889 dans le style néo-Renaissance, offre aujourd’hui une double découverte : d’un côté, les ruines évocatrices d’une demeure seigneuriale emblématique de la Renaissance périgourdine ; de l’autre, un joyau architectural préservé, la Tour, qui à elle seule explique la réputation littéraire mondiale du lieu.

Que reste-t-il du château de Montaigne aujourd’hui ?

Le logis principal : disparition et reconstruction

Lorsqu’un incendie ravage le château en janvier 1885, les collections, boiseries et salles principales partent en fumée. Le logis n’est alors plus que cendres, et seules les dépendances, l’orangerie et la tour échappent au désastre. La reconstruction débutée sous la direction de l’architecte Paul Abadie (également auteur de la restauration de la cathédrale de Périgueux) se termine en 1889. Le résultat : un bâtiment ornementé, qui s’inspire plus du XIX siècle que de la Renaissance, composé de pierres blondes du pays, de tourelles et de hautes fenêtres.

  • La partie habitée du château : portions restaurées après l’incendie, non ouvertes à la visite publique.
  • L’escalier d’honneur : fidèle à l’architecture d’origine, il n’a pas été détruit par l’incendie.
  • Les communs et les caves : certains espaces annexes n’ont jamais été touchés et conservent l’empreinte de la vie d’autrefois.

La tour de Montaigne : vestige authentique et emblématique

Le grand trésor conservé se concentre dans la tour ronde, située à l’angle nord-est du château : c’est ici que Montaigne rédigea l’essentiel de ses « Essais ». Classée Monument historique dès 1840, elle n’a subi aucune perte ni restauration dénaturante. Construite à la fin du XV siècle, elle est composée de trois niveaux :

  • La chapelle : consacrée en 1571, oratoire privé de Montaigne, elle conserve une voûte à nervures et des décors peints de style gothique tardif.
  • La chambre de veille : pièce d’accès, ornée de peintures murales du XVI siècle, passage entre l’intimité et les savoirs.
  • La bibliothèque : la fameuse « librairie », vaste pièce ronde tapissée de plus de 1 000 maximes latines et grecques peintes sur les poutres et les corbeaux du plafond, une originalité qui en fait un monument unique en Europe.

Cette tour fut dès le XVI siècle le laboratoire de réflexion où Montaigne passait l’essentiel de ses journées. Plusieurs visiteurs illustres, de Montesquieu à André Gide, viendront constater l’émotion particulière qui se dégage de cette pièce restée fidèle à sa fonction initiale.

Le parc et les vignes : écho du paysage de la Renaissance

Autour du château s’étend un parc paysager de plus de 9 hectares, conçu au XIX siècle dans l’esprit romantique, traversé par une magnifique avenue de platanes. Ce cadre verdoyant abrîte aussi le vignoble d’origine, exploité aujourd’hui en AOC Bergerac et Montravel : le terroir s’accorde alors parfaitement avec l’héritage culturel, témoignant de la richesse du sol, mais aussi de l’intention initiale du philosophe : « Je veux voir le soleil par ma propre fenêtre, et le vin de mon propre domaine ».

  • Le vignoble s’étend sur près de 20 hectares aujourd’hui (source : Château de Montaigne, site officiel).
  • Des arbres séculaires et une collection de cépages anciens complètent la visite.

Pourquoi associe-t-on le château de Montaigne à la littérature ?

Michel de Montaigne : une figure tutélaire des lettres françaises

S’il est un château indissociable de la littérature française, c’est celui-ci. Michel Eyquem de Montaigne (1533-1592) demeure un des penseurs les plus influents de la Renaissance, fondateur de l’essai moderne et humaniste engagé. Dès la publication du premier livre des « Essais » en 1580, la tour qu’il appelle, non sans malice, sa « librairie », devient le symbole du dialogue intime entre l’auteur et le monde. C’est dans ces murs qu’il consigne ses réflexions, jour après jour, au fil de ses lectures d’auteurs antiques et des grands humanistes européens.

  • Les « Essais » furent écrits entre 1572 et 1592, révisés sans cesse jusqu’à la mort de l’auteur.
  • L’œuvre constitue environ 1 000 pages, traduites ou étudiées dans plus de 40 langues (source : Bibliothèque nationale de France).

La « librairie » : une pièce mythique au service de la pensée

La bibliothèque privée de Montaigne fut, dès son origine, un espace unique : elle accueillait plus de 1 000 volumes (un chiffre considérable pour la fin du XVI siècle), allant de la philosophie gréco-romaine aux textes de la Réforme protestante, de la poésie à la médecine. La singularité de ce lieu tient à l’inscription, par Montaigne lui-même, de sentences, maximes et citations sur les poutres : « Ce n’est pas un musée : c’est l’atelier d’un penseur, où les murs sont tapissés de répliques qui l’accompagnent dans ses méditations », écrit encore l’historien Philippe Desan (source : « Montaigne. Une biographie politique », Gallimard, 2020).

  • Ce dispositif de « poutres annotées » a inspiré de nombreux auteurs, de Pascal à Virginia Woolf.
  • La librairie est classée « Lieu de Mémoire Européen » depuis 2002 (Conseil de l’Europe).

Des visiteurs illustres et des écrivains sous le charme

Au fil des siècles, la tour attira des figures aussi diverses que Montesquieu, Chateaubriand, Malraux ou, plus récemment, Milan Kundera. Pour nombre d’entre eux, la visite de la pièce d’écriture fut un acte quasi initiatique :

  • Montesquieu s’en inspira pour concevoir La Brède, sa propre « tour d’étude ».
  • Gide décrivit sa visite comme « l’expérience d’une intimité intacte avec un esprit du passé ».

Ce rayonnement perdure aujourd’hui, animant colloques et séjours littéraires, transformant le site en un centre vivant de recherche et de dialogue intellectuel.

Le château entre mémoire historique et expérience littéraire

« Là-haut, dans la tour du château, je m’isole pour mieux écrire et réfléchir ». Cette formule de Montaigne n’a rien perdu de sa modernité. Le château, dans sa version actuelle, oscille entre lieux de mémoire et curiosité pour les amateurs de littérature :

  • Des centaines de manuscrits autographes des « Essais » se trouvent aujourd’hui conservés à la Bibliothèque de Bordeaux et à la BNF.
  • Chaque année, près de 25 000 visiteurs franchissent la grille du château (donnée 2022, Comité Départemental du Tourisme Dordogne).
  • Des ateliers d’écriture, des lectures et des événements dédiés à l’analyse des « Essais » sont organisés dans la tour et la salle des gardes.

Le château de Montaigne constitue également un lieu privilégié pour la recherche universitaire : la Société Internationale des Amis de Montaigne y organise régulièrement colloques et séminaires, renforçant ainsi le lien organique entre le patrimoine bâti et le patrimoine intellectuel.

Montaigne, le vin et la terre : une demeure plus vivante que jamais

La visite du château de Montaigne offre plus qu’un simple voyage dans le passé : c’est une immersion dans un territoire, un art de vivre et un univers intellectuel. Le dialogue entre la pierre et la vigne demeure bien réel, puisque le domaine produit chaque année plus de 110 000 bouteilles (source : Château de Montaigne, chiffres 2023), et commercialise un vin « Philosophe » en hommage au maître des lieux.

  • Le site accueille régulièrement des dégustations commentées.
  • Les vignes bénéficient d’une démarche agro-écologique depuis 2018.

L’association entre la tradition viticole et l’humanisme montaignien s’y incarne : la pensée comme le vin réclament patience, sensibilité et ouverture.

Pour approfondir : patrimoine, lecture et découvertes

  • Adresse officielle : Château de Montaigne, 24230 Saint-Michel-de-Montaigne.
  • Horaires de visite : Ouvert de mars à novembre, visites guidées de la tour. Réservation recommandée (source : Site officiel Château de Montaigne).
  • À lire : « Montaigne à cheval », Antoine Compagnon, Gallimard, 2018 ; « Les Essais » (édition Pléiade), BNF, 2007.
  • Ressources numériques : Archives et manuscrits numérisés : gallica.bnf.fr ; Dossiers pédagogiques sur le site de la Fondation Montaigne.

Explorer le château de Montaigne, c’est reconnaître que, derrière la façade reconstruite, l’essentiel s’est maintenu : ce « laboratoire d’idées » où la littérature et la philosophie continuent d’interroger le monde, au cœur d’un paysage périgourdin qui n’a rien perdu de sa magie.

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