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Un décor stratégique dans la guerre de Cent Ans

En Dordogne, le château de Castelnaud-la-Chapelle s’élève sur un éperon rocheux dominant la vallée de la Dordogne et surveillant les voies d’accès entre Sarlat, Beynac et le pays de l’Agenais. Bâti à partir du XII siècle, il illustre l’excellence militaire du Moyen Âge et cristallise des pratiques défensives évoluées, sans cesse perfectionnées au fil des conflits. Situé face à son rival historique, Beynac, Castelnaud tient une place stratégique essentielle, particulièrement durant la guerre de Cent Ans (1337-1453), période durant laquelle il change plusieurs fois de mains entre Anglais et Français (source : site officiel du château).

Les principes défensifs incarnés

L’art de la fortification médiévale consiste à ralentir, surprendre et épuiser l’adversaire tout en optimisant la résistance des défenseurs. Castelnaud offre un véritable catalogue d’éléments architecturaux défensifs, parfaitement adaptés à la topographie et au contexte guerrier de son temps.

1. Un site naturellement défensif

  • Éperon rocheux : Implanté à 150 mètres d’altitude sur un promontoire escarpé, le château bénéficie d’une visibilité remarquable sur la vallée et restreint l’accès à quelques sentiers abrupts. Cette position offre une double fonction : surveillance étendue et difficulté d’assaut pour l’ennemi.
  • Diversification des angles d’attaque : Grâce à la morphologie du site, chaque façade met en œuvre des dispositifs adaptés pour contrer des directions d'assaut distinctes.

2. Le donjon : cœur de la défense

  • Donjon roman à contreforts plats : Érigé à l’extrémité du promontoire, il mesure environ 32 mètres de haut. Ses murs de plus de 3 mètres d’épaisseur présentent une résistance remarquable aux projectiles et tentatives de sape.
  • Fonction d’ultime refuge : En cas de prise des remparts, le donjon offrait une défense resserrée pour la garnison, avec vivres et puits pour résister à des sièges prolongés.

3. L’enceinte et les courtines escaladées

  • Double enceinte : Castelnaud compte deux lignes de fortifications distinctes, dont la plus extérieure englobe une basse-cour et des dépendances – stratégie permettant de canaliser et retarder les assaillants, tout en multipliant les obstacles.
  • Parcours de ronde : Les remparts intègrent des chemins de ronde accessibles uniquement depuis l’intérieur, permettant la circulation protégée des défenseurs et une riposte coordonnée.

4. Le système défensif actif : archères, bretèches, mâchicoulis

  • Nombreuses archères : Plus de 50 archères variées jalonnent le château, adaptées au tir à l’arc long, arbalète et, plus tard, armes à feu. Leur étroitesse protège le tireur tout en offrant une couverture maximale.
  • Mâchicoulis et bretèches : Le donjon et les courtines du XIII siècle sont dotés de mâchicoulis – balconnets à ouvertures en saillie pour jeter pierres, huile ou poix sur les assaillants. Bretèches, placées aux points vulnérables, renforcent ces dispositifs en permettant des tirs verticaux concentrés sur les portes ou escaliers d’accès.

Innovation et adaptation technologique au Moyen Âge

Castelnaud incarne l’adaptabilité médiévale face à l’évolution de l’artillerie, en intégrant dès le XIV siècle des solutions pensées pour résister aux armes à projectile, notamment les trébuchets, puis, dans une moindre mesure, la poudre à canon.

1. Les machines de guerre médiévales, reconstituées et exposées

  • Trébuchet : Le château abrite aujourd’hui sur son site une reconstitution fidèle d’un trébuchet géant, capable de lancer des boulets de pierre de 60 à 100 kg à plus de 200 mètres. Ce type de machine, utilisé dès le XII siècle, a marqué l’apogée des assauts contre les forteresses – et la nécessité pour Castelnaud d’épaissir ses remparts (source).
  • Mangonneau, pierrière, couillard : En complément du trébuchet, d’autres engins à contrepoids ou à tension étaient utilisés à Castelnaud aussi bien pour la défense que pour le siège lors des variantes d’occupation.

2. L’entrée et la porte fortifiée, véritables pièges

  • Porte en chicane : L’accès ne se fait jamais en ligne droite mais selon un parcours coudé, obligeant à ralentir sous le feu croisé des défenseurs et à franchir plusieurs obstacles successifs (pont-levis, herses, antiport, fossés secs).
  • Sas défensif : Entre deux portes, les assaillants sont piégés dans un espace exigu, vulnérable à des tirs venant des bretèches dominantes.

3. Les adaptations à la poudre à canon

  • Embrasures à canon : À la fin du XVe siècle, Castelnaud adapte certains de ses dispositifs – notamment des canonnières percées dans les murailles, adaptées au tir des premières armes à feu. Le site conserve plusieurs meurtrières-canonnières, témoignant de cette transition vers la fortification bastionnée, amorcée à la Renaissance.
  • Murs polygonaux épaissis : Pour répondre au choc croissant des boulets, les courtines sont localement surépaissies et maintenues en bon état par d’intenses campagnes de consolidation, visibles dans les appareils de pierre (analyse archéologique : Mondes Médiévaux).

L'évolution du site face aux mutations militaires et politiques

L’histoire mouvementée de Castelnaud traduit l’adaptation des techniques défensives aux réalités politiques, économiques et technologiques du Sud-Ouest.

  • Sièges et changements de main : Entre 1337 et 1442, le château subit pas moins de sept sièges majeurs. Sa résistance est notamment éprouvée durant les grandes offensives de la guerre de Cent Ans, quand les troupes françaises et anglo-gasconnes rivalisent d’ingéniosité.
  • Naissance d'une forteresse d’apparat : À partir du XV siècle, le site amorce une transition vers une résidence seigneuriale plus confortable, même si ses défenses restent opérationnelles jusqu’au XVII siècle (adjonction de logis, aménagements domestiques).
  • Patrimoine militaire tourné vers l’artisanat : Dès l’Époque Moderne, le château, désormais privé de rôle militaire, sert de carrière de pierre avant d’être sauvé par des restaurateurs et par la création d’un musée vivant de la guerre au Moyen Âge. Aujourd’hui, ses collections uniques d’armes et de machines proposent une plongée dans la tactique et l’armement médiévaux (source).

Castelnaud : symbole d’ingéniosité et témoignage vivant

Le château de Castelnaud offre bien plus qu’une leçon d’architecture médiévale : il permet de comprendre, in situ, la logique implacable d’une société de guerre, capable d’innover sans cesse pour préserver ses territoires et défendre ses habitants. Son système évolutif, du donjon roman à la canonnière de la Renaissance, reflète les chocs et rencontres technologiques de près de cinq siècles. Pour le visiteur, explorer Castelnaud revient à traverser les âges et observer, pierre après pierre, l’intelligence des bâtisseurs, des artisans et des capitaines qui ont fait de ce site l’un des modèles les plus aboutis de l’art de la fortification en France – et, à travers lui, une invitation à croiser l’Histoire et la stratégie, la mémoire de la pierre et l’inventivité de l’esprit humain.

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