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Une silhouette singulière au cœur de la Dordogne

Niché dans la vallée de la Beune, à quelques kilomètres de Sarlat, le château de Commarque apparaît tel un mirage. Étroitement enlacé à la roche calcaire, il frappe d’abord par sa verticalité, sa position isolée et la cohérence de son ensemble, résultat d’une superposition de siècles d’histoire architecturale. Loin du faste d’un château Renaissance, Commarque impose sa rudesse médiévale, son inventivité défensive et une remarquable adaptation au relief.

Édifié entre le XII et le XV siècle, ce château dit “totalement castral” fut simultanément une forteresse, un village castral et une prouesse d'intégration paysagère (Source : Monumentum.fr ; Base Mérimée – Ministère de la Culture).

Un site naturel au cœur de l’architecture défensive

  • Position dominante : Commarque est construit sur un éperon rocheux culminant à 80 mètres au-dessus du niveau de la rivière Beune. Cette assise fait partie intégrante de la stratégie défensive médiévale : visibilité à 360°, surveillance des voies et impossibilité d’accéder discrètement à la forteresse.
  • Adaptation à la roche : La configuration même du site a dicté l’architecture : la tour maîtresse est littéralement enchâssée dans la falaise. Les murailles suivent les fractures naturelles du calcaire, limitant les points faibles et maximisant la solidité.
  • Vestiges troglodytiques : Commarque est unique avec ses habitations troglodytiques creusées sous la forteresse. On y retrouve encore des silos, des bassins, des banquettes et des trous de poteau médiévaux (Source : Château de Commarque).

La tour maîtresse de Commarque : entre prouesses et sobriété

Au centre du dispositif, la tour maîtresse — donjon rectangulaire de 80 mètres carrés au sol, haut de 24 mètres aujourd’hui — est l’un des exemples les plus impressionnants de tour donjon médiéval du Périgord. Trois niveaux étaient accessibles à l’origine, chacun ayant une fonction distincte :

  1. Le rez-de-chaussée : servait de cellier et de lieu de stockage. Il était d’ailleurs accessible uniquement par une trappe située au premier étage, pour des raisons de sécurité.
  2. Le premier étage : cœur résidentiel, abritant la grande salle de réception et d’audience, éclairée de fenêtres romanes (étroites pour se défendre).
  3. Le dernier niveau : espace de repli en cas d’assaut, doté d’un chemin de ronde et de mâchicoulis ajoutés lors de la guerre de Cent Ans.

La masse de la tour, sa base renforcée, mais aussi l’absence de décor fastueux révèlent la fonction défensive (absence de sculptures élaborées, voûtes en berceau simples). Cependant, la pierre de Commarque, un calcaire doré local, confère aux façades une harmonie minérale singulière.

Enchevêtrement de logis et castrum collectif : une architecture de partage

Contrairement à beaucoup de châteaux féodaux conçus pour un seigneur unique, Commarque présente la particularité rare d’intégrer plusieurs casaux et logis nobles indépendants, qui se pressent contre la forteresse. On dénombre jusqu’à cinq logis seigneuriaux et une chapelle, tous abrités dans la même enceinte.

  • Des logis polyphasés : Chaque famille noble rattachée au château (Commarque, Cendrieux, La Chapelle, Gondrix, Rossignol...) possède son propre espace résidentiel, empilé ou accolé à la tour, créant un village fortifié unique en son genre (Source : Pascal Texier, archéologue et coordinateur des fouilles à Commarque).
  • Communication complexe : Les circulations sont étudiées (escaliers à vis, couloirs en encorbellement, portes surélevées) afin de protéger chaque casau tout en autorisant l’accès à la chapelle commune.
  • Chapel castrale : Datée du XII siècle, elle se distingue par sa nef voûtée en berceau brisé, ses fresques — aujourd’hui disparues — et son clocher-mur visible depuis la vallée.

Innovations défensives et traces d’adaptation

Le château de Commarque témoigne de l’adaptation continue aux évolutions de l’architecture militaire entre le XII et le XV siècle. Quelques caractéristiques remarquables :

  • Archères et meurtrières médiévales : Des archères longues et fines, conçues pour le tir à l’arc puis modifiées à la poudre à canon à partir du XIVe siècle.
  • Mâchicoulis tardifs : Ajoutés sur la plate-forme de la tour principale, typiques des adaptations de la guerre de Cent Ans (début XV siècle).
  • Herse et pont-levis : Les fouilles récentes suggèrent la présence d’un système de herse et d’un pont-levis permettant d’isoler la cour basse en cas d’attaque.
  • Défenses en hauteur : Le chemin de ronde supérieur offre une vue inédite sur la vallée, mais aussi des dispositifs de jet qui subsistent (encoches pour poutres, corbeaux de bois pour galeries défensives temporaires).
  • Multiplicité des accès contrôlés : Cinq portails fortifiés distincts ont été identifiés, chacun commandant l’accès à un logis ou à une cour castrale précise.

La topographie du site se lit dans l’architecture défensive : le côté nord, plus escarpé, est laissé à la roche brute, tandis que la face sud concentre murs et tours.

Des détériorations, révélatrices de l’histoire

  • Marques de siège : Des impacts de projectiles et des pierres de catapulte ont été retrouvés lors des fouilles, souvenirs probables des affrontements durant la Guerre de Cent Ans (1337-1453) et les guerres de Religion (XVI siècle).
  • Abandon progressif : Dépeuplé au XVII siècle après avoir été vendu, le château est resté à l’abandon jusqu’au XX, ce qui a permis la préservation de certaines structures médiévales authentiques, aujourd’hui rares dans la région.

Ce sont ces ruines majestueuses, ouvertes à la visite aujourd’hui, qui permettent de lire “en négatif” l’architecture passée : escalier à vis effondré, linteau de porte encastré dans la maçonnerie, cheminée monumentale ouverte sur le vide.

La restauration et la valorisation du château

Depuis la campagne de restauration commencée dans les années 1970 (par Hubert de Commarque), de nombreux éléments architecturaux ont été dégagés :

  • Sauvetage du donjon : Consolidation des murs, pose d’un plancher de circulation, et restitution partielle des dispositifs défensifs.
  • Redécouverte de fresques : Les fouilles de la chapelle ont mis au jour des fragments de décors peints du XIII et XIV siècle.
  • Ouverture de souterrains : Les galeries troglodytiques, longtemps remblayées, dévoilent aujourd’hui la vie castrale du Moyen-Âge (celliers, meurtrières basses, chapelle souterraine de fortune).

Le château de Commarque, classé Monument Historique depuis 1943, est aujourd’hui un laboratoire à ciel ouvert pour archéologues, historiens et amateurs de patrimoine (Source : Ministère de la Culture, “Notice Mérimée PA00082778”).

Ce que Commarque apporte au paysage castral du Périgord

Rarement un château du Périgord aura réuni autant de particularités :

  • Un site naturel façonnant l’architecture — aucune séparation nette entre roche et bâtiment, la forteresse est indissociable de son socle.
  • Un habitat castral partagé, où chaque logis noble est à la fois indépendant et protégé par une enceinte commune.
  • Des éléments militaires sur plusieurs siècles, témoignant des adaptations successives aux évolutions de l’art de la guerre, du donjon roman aux dispositifs de la guerre de Cent Ans.
  • Une accumulation de traces d’occupation humaine, depuis les troglodytes médiévaux jusqu’aux restaurateurs du XX siècle.

Commarque ne ressemble à aucune autre forteresse du Périgord noir. Par son plan “en cheville”, ses multiples logis imbriqués et ses vestiges troglodytiques, il donne à voir un pan souvent méconnu du Moyen Âge. Explorer ses ruines, c’est pénétrer au cœur de l’ingéniosité militaire et sociale des grandes familles périgourdines — et comprendre la force avec laquelle la pierre, la nature et l’histoire se conjuguent en une architecture de survie.

Sources principales :

  • Base Mérimée - Ministère de la Culture : Notice PA00082778
  • Pascal Texier, archéologue – Rapport de fouille, 2013-2019
  • Château de Commarque, site officiel : https://www.commarque.com
  • Philippe Gaillard, Le Périgord castral, éditions Sud Ouest, 2011

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