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Un joyau d’architecture classique entre mémoire féodale et modernité

Perché sur son éperon rocheux dominant la vallée de la Lourde, le château de Hautefort frappe par sa silhouette parfaitement symétrique, signature rare dans le paysage périgourdin, encore très médiéval à l’aube du XVII siècle. Construit sur les vestiges d’une forteresse médiévale, Hautefort est alors le théâtre d’une ambitieuse campagne de modernisation, initiée par Jacques-François de Hautefort. Entre 1630 et 1670, les lourds créneaux du Moyen-Âge cèdent la place à de nobles façades classiques et à des jardins à la française, dessinés selon la mode de Le Nôtre.

Cette métamorphose ne répond pas qu’à des volontés esthétiques. Elle traduit aussi la montée en puissance du château comme centre de sociabilité et de représentation nobiliaire, à l’image du rayonnement versaillais (source : Base Mérimée, Ministère de la Culture).

Entre pouvoir local et rayonnement régional : le fief des Hautefort

Au XVII siècle, la famille de Hautefort est l’une des plus influentes du Périgord. La Seigneurie de Hautefort, couvrant plus de 600 hectares de terres (chiffres issus de l’ouvrage Le Périgord des châteaux, Éditions Sud Ouest), est une véritable petite principauté locale. Le château devient le siège d’un pouvoir seigneurial moderne :

  • Justice et administration : Le seigneur rend justice dans la « salle basse », dirige un conseil d’hommes de loi et contrôle l’attribution de droits seigneuriaux (pêche, moulins, marchés hebdomadaires).
  • Économie : Hautefort est le cœur d’un domaine céréaliers et viticole prospère. Archives notariales (1642-1672) attestent de la vente de vins blancs récoltés sur les coteaux alentours, témoignage d’une économie tournée autant vers l’autosuffisance que l’exportation (source : Archives départementales de Dordogne, série E).
  • Lieu de décision politique : Les Hautefort, bien ancrés à la Cour (notamment Marie de Hautefort, favorite et confidente d’Anne d’Autriche), participent à la vie politique, offrant à leur demeure un rayonnement bien au-delà du Périgord.

Le théâtre d’une vie mondaine fastueuse

Au XVII siècle, la résidence seigneuriale ne se limite plus à la défense du territoire ou à l’exercice du pouvoir. Elle devient l’écrin d’un art de vivre raffiné, microcosme d’une société où tout est mis en scène. À Hautefort, le grand escalier, inspiré par les plans des hôtels parisiens, accueille une procession incessante de visiteurs : notables, voisins nobles, artistes, architectes et musiciens. Les sources témoignent de :

  • Réceptions estivales : banquets en terrasse, jeux, bals dans le grand salon orné de boiseries et de tapisseries. On relève dans la correspondance de Marie de Hautefort (conservée à la BNF) la venue chaque été de familles alliées (Souillac, Brantôme…), qui passent parfois plusieurs semaines à Hautefort.
  • Cultures et divertissements : Les Hautefort possèdent une bibliothèque (inventaire de 1673 retrouvée aux Archives nationales) riche de plusieurs centaines d’ouvrages en latin et en français : traités d’architecture, manuels de civilité, poésie. Musique de chambre, ateliers de théâtre et de poésie – dont la marquise de Hautefort semble avoir été une figure centrale – animent la vie quotidienne.

Un fait marquant : en juin 1644, un ballet est organisé sur le parterre oriental, réunissant vingt danseurs guidés par un maître venu de Bordeaux. La dépense record affichée sur le registre de comptes souligne l’importance donnée à cet événement.

Codes sociaux : l’étiquette, la mode et l’art de la table

Vivre au château de Hautefort, c’est évoluer dans un univers strictement codifié, où tout – de la disposition des assiettes à la longueur des dentelles – répond à un rituel savamment orchestré. Les mémoires de Gilles de Hautefort (conservées partiellement sous forme de copies du XVIII siècle) mentionnent :

  • L’emploi d’un intendant chargé de la gestion des domestiques (cuisiniers, femmes de chambre, écuyers), soit plus de 20 personnes résidentes à demeure en 1660 ;
  • La mode : le trousseau annuel comprend des étoffes de Lyon, des dentelles venues d’Italie et des chaussures commandées à Périgueux ou Limoges ;
  • L’art de la table : la vaisselle en faïence de Nevers rivalise avec l’argenterie du Limousin, et le menu d’un repas d’apparat (1655) compte jusqu’à 8 plats de viande, 4 de poisson, 3 de gibier, sans compter entremets sucrés aromatisés de vin blanc de la propriété.

Cet affichage de la richesse se double d’une sociabilité « de cour » : on reçoit en suivant l’étiquette, on organise des jeux d’esprit, on entretient une correspondance assidue avec Paris.

Le château, centre de mécénat artistique et d’innovation architecturale

Décoré avec faste, le château de Hautefort devient laboratoire d’expériences artistiques. Des maîtres maçons comme Nicolas Rambourg interviennent entre 1640 et 1660 : le dessin de la toiture à dôme, peu courant dans le Sud-Ouest, anticipe même les canons architecturaux classiques du siècle à venir (cf. Dossier de protection Monuments Historiques).

  • Architecture : Les salons sont décorés de moulures et corniches, la chapelle privée est ornée de décors polychromes, innovation rare hors d’Île-de-France à cette époque.
  • Jardins : Les parterres sont dessinés en 1674 par un disciple de Le Nôtre, mêlant rangées de buis, bassins, boulingrins. Un potager en terrasses assure la fourniture de fruits exotiques (pêchers, figuiers), curiosité prisée par les visiteurs.
  • Rôle dans la circulation des artistes et du savoir : Certains ouvriers – tailleurs de pierre, menuisiers – effectuent leur « Tour de France » en passant par Hautefort, qui devient ainsi aussi un relais d’innovations techniques du Grand Siècle.

Hautefort et la représentation sociale : un symbole pour la postérité

Le rôle du château dépasse la simple aristocratie résidentielle. Il s’affirme au XVII siècle comme le manifeste de l’ascension sociale, dans un contexte où la noblesse provinciale cherche à rivaliser avec Versailles, mais aussi à s’enraciner dans son territoire. La décoration du grand salon, charge héraldique et allégories, célèbre cette ambition : on y retrouve les armes, les devises, mais aussi des scènes mythologiques, projections idéalisées de l’histoire familiale (source : Inventaire général du patrimoine culturel, Hautefort).

Le château sert de décor à la négociation de mariages, à la ratification d’alliances entre familles. L’aristocratie provinciale y trouve un centre de gravité, un espace où se nouent et se dénouent des alliances qui font et défont les équilibres politiques départementaux.

Perspectives : Héritages d’une « cour » provinciale

Si l’on s’attarde sur Hautefort, c’est parce qu’il incarne, dès le XVII siècle, ce moment où la vie aristocratique cesse d’être cantonnée à la défense d’un fief ou au service du roi, pour devenir, en terre périgourdine, un véritable art de vivre. Hautefort, par sa magnificence, son ouverture sur la société, a contribué à façonner le modèle d’une noblesse enracinée et innovante à la fois. Aujourd’hui encore, la visite de ses salles, de ses jardins et de ses archives donne la mesure d’un mode de vie attractif qui perdura jusqu’à la Révolution, et dont les traces, de la bibliothèque aux parterres, racontent toute une civilisation du goût, de la sociabilité et du pouvoir.

Pour aller plus loin : on peut consulter l’ouvrage de référence de Pierre Dubourg-Noves Hautefort et sa seigneurie (1966), ainsi que découvrir les dossiers numérisés sur la base Mérimée du Ministère de la Culture, pour approfondir l’histoire et les transformations du château à l’époque moderne.

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