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Une demeure Renaissance au cœur du Périgord

Implanté sur un éperon rocheux dominant la vallée de la Dordogne, le château des Milandes s’impose par son élégance gothique et Renaissance. Édifié en 1489 par François de Caumont, seigneur local, le domaine témoigne de la prospérité de la région à la fin du Moyen Âge. Entre ses tourelles, ses vitraux finement ciselés et ses jardins à la française redessinés au XX siècle, le lieu fascine par son raffinement. Mais c’est le XX siècle qui va offrir au château sa plus grande ambassadrice : Joséphine Baker.

Joséphine Baker : une icône du XX siècle

Née en 1906 à Saint Louis, aux États-Unis, Freda Josephine McDonald – future Joséphine Baker – conquiert Paris dans les années 1920 grâce à sa personnalité magnétique et à ses spectacles audacieux, devenant rapidement une artiste majeure de la scène parisienne. Son engagement contre le racisme et pour l’émancipation ne la quittera jamais (source : France Culture).

L’acquisition des Milandes : du rêve à la réalité

En 1937, Joséphine Baker découvre le château lors d’une visite en Dordogne. Fascinée par cette demeure, elle l’acquiert officiellement le 14 mars 1947, investissant une part considérable de sa fortune – plus d’un million de francs à l’époque, une somme considérable si l’on rapporte aux valeurs actuelles. Son objectif : en faire un havre de paix à la fois pour elle-même et pour ceux qu’elle veut protéger.

Joséphine Baker ne manque pas d’ambition : elle modernise Milandes, y fait installer l’électricité, l’eau courante et le chauffage central, apportant un confort rare dans la ruralité d’alors (source : Site officiel du Château des Milandes).

L’engagement de guerre : les Milandes en 1940-1944

Le château devient un poste avancé de la Résistance pendant la Seconde Guerre mondiale. Joséphine Baker, recrutée en 1940 par le contre-espionnage français, reçoit à Milandes des messages et abrite des membres de la Résistance. Ces activités valent au domaine plusieurs perquisitions de la part de la Gestapo.

  • Elle y héberge des réfugiés et cache des documents secrets dans ses partitions de musique.
  • Militante antinazie assumée, elle utilise ses tournées à l’étranger pour transmettre discrètement des informations au réseau du colonel Passy.
  • En reconnaissance de ses actions, elle recevra la Médaille de la Résistance française et la Légion d’honneur.

D’après l’historien Jean-Claude Bouillon (ouvrage : "Joséphine Baker, la Résistante"), il est avéré que le château fut aussi un point de passage pour la filière d’évasion des prisonniers alliés.

Le "Village du Monde" de Joséphine Baker : utopie et réalité

L’une des initiatives les plus singulières de Joséphine Baker à Milandes fut la création d’un foyer universel, qu’elle appela sa "Tribue Arc-en-ciel" (source : INA). Sa vision : adopter des enfants de différentes origines, treize au total, venus du Japon, de Finlande, d’Algérie, du Maroc, de Colombie, de Côte d’Ivoire, du Venezuela ou de France, dans le but de démontrer la possibilité d’une fraternité internationale et multiraciale.

  1. Les enfants vivent ensemble, reçoivent une éducation cosmopolite, partagent les repas et les jeux au cœur du parc du château.
  2. Le public peut visiter le domaine, unique en France à l’époque, et contempler cette expérience pédagogique hors-norme, qu’elle nomme son "paradis universel".
  3. Baker finance ce projet en organisant fêtes, réceptions et spectacles caritatifs dans le grand salon du château.

Ce projet humaniste, aussi ambitieux qu’utopique, fait la une de toute la presse internationale des années 1950, du New York Times au Figaro.

Les années fastes : Milandes, phare mondain et culturel

Dans les années 1950, le château des Milandes devient un rendez-vous pour les artistes, les intellectuels et les personnalités politiques du monde entier. Les jardins voient défiler Grace Kelly, Charles Trenet, Georges Simenon, le Shah d’Iran… Les grandes tablées, les concerts improvisés et les ballets entre les murs résonnent encore aujourd’hui dans la mémoire locale.

C’est aussi l’époque où Joséphine Baker met en place des spectacles pour financer son "village du monde" : jusqu’à 1956, les Milandes accueillent quatre festivals chaque année, réunissant jusqu’à six mille spectateurs par événement (source : Archives départementales de la Dordogne).

Milandes, symbole de lutte pour l’égalité et foyer de mémoire

Si les difficultés financières finiront par rattraper Joséphine Baker – le prêt consenti pour le domaine s’avère un fardeau insupportable au fil du temps – l’héritage social du château demeure exemplaire. Sa "tribu arc-en-ciel", bien que dispersée après la saisie du domaine en 1968, façonne une mémoire collective de la tolérance et de la diversité.

  • En 1949, lors d’un discours à New York, Joséphine Baker déclare : "Aux Milandes, il n’y a d’autre race que celle de la tendresse."
  • Le lieu accueille aujourd’hui une exposition permanente retraçant le parcours de l’artiste militante, ses actions de résistance, d’hospitalité et d’éducation (musée inauguré en 2012).
  • Classé Monument Historique en 1986, puis labellisé "Maison des Illustres" en 2012, le château figure au cœur des circuits mémoriels et patrimoniaux du Périgord Noir (source : Ministère de la Culture).

Un lien vivant entre patrimoine, mémoire et modernité

Le château continue de vibrer au rythme du souvenir de Joséphine Baker, mais aussi de l’actualité culturelle. Plus de 130 000 visiteurs franchissent ses portes chaque année (source : Dordogne Libre), pour découvrir non seulement l’histoire de l’artiste mais aussi le patrimoine architectural unique du Périgord.

Chaque été, des événements commémoratifs, des concerts, des ateliers pédagogiques et même des reconstitutions de scènes de la vie quotidienne de la "tribu" sont proposés.

  • Depuis 2021, année de l’entrée de Joséphine Baker au Panthéon, les visites connaissent une hausse de fréquentation sans précédent, preuve de l’impact durable de ses engagements.
  • Les jardins restaurés, classés "Jardin remarquable", sont également le théâtre de spectacles d’oiseaux de proie, rappelant la passion de Baker pour la nature et le vivant.

Perspectives patrimoniales : Milandes, un témoignage universel

Le château de Milandes ne se limite pas à être l’écrin d’une vie humaine exceptionnelle. Il incarne une vision du monde fondée sur l’accueil, la diversité et la générosité. En choisissant ce lieu comme base de son action, Joséphine Baker a ancré l’histoire des Milandes dans celle des luttes pour l’égalité du XX siècle, tout en préservant le patrimoine remarquable du Périgord.

Aujourd’hui, explorer les Milandes, c’est traverser des siècles d’histoire, mais aussi toucher du doigt l’actualité brûlante des idéaux de justice et de fraternité. La demeure, jadis théâtre de luttes et de fêtes, demeure un carrefour où patrimoine et utopie se conjuguent au présent. Se rendre aux Milandes, ce n’est pas seulement marcher dans l’intimité de Joséphine Baker : c’est aussi voir la Dordogne sous un autre prisme – celui de la lumière humaine et solidaire, qui éclaire encore ses pierres.

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